mercredi 9 mai 2007

J’étais à la Bastille

Dépêche agence de presse Mai 2007.
Plusieurs milliers d’opposants à Nicolas Sarkozy se sont regroupés hier soir place de la Bastille pour manifester leur déception des résultats du 2e tour des élections présidentielles. Le rassemblement a dégénéré par des affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants.

J’étais à la Bastille

La salive sort de ma bouche, glisse sur la moitié de ma joue et tombe au sol. Mon sang colle mes cheveux sur ma paupière gauche, je ne vois plus que de l’œil droit. Je suis en garde-à-vue, allongé dans une cellule. J’entends l’internationale, chanté de façon laconique et alcoolique. C’est Maurice le clodo qui était avec nous à la Bastille. Il s’est éclaté le salaud, au point de lancer sa bouteille de rouge qu’il pensait être un cocktail Molotov. Avant de l’envoyer sur les CRS, Il l’a goûté pour vérifier. Mais non ! C’était bien de la Villageoise. Son litron en plastique n’a pas explosé, mais la compagnie nous a rattrapés, le gros rouge en pleine gueule les avait dopés. Il a dit qu’il n’avait jamais couru aussi vite depuis 68. je lui ai dit que je ne connaissais pas 68 mais seulement 64 la marque de tee-shirts et autres conneries. Il a ri, s’est arrêté, a vomi, moi aussi. Ils nous ont cognés avec une volée de matraques. Elles étaient légères comme des ailes de papillons jaunes. Trop cool, la dope de Kévin, faudra que je pense à lui dire que son herbe est vraiment trop bonne. Avant que ma tête ne touche le macadam, j’ai vu l’érection de la colonne de Juillet, ça m’a fait penser au cul de Juliette. On a fait l’amour chez sa mère, avant-hier. C’était trop bien, on s’est super fait jouir, sauf à la fin : le drame. On est parti dans un truc tellement Hot, qu’on a renversé la télé de sa vieille. Mais le pire, c’est qu’on a cassé son Johnny Hallyday qui était dessus. Celui qui était torse nu dans la boule à neige. Elle est devenue hystérique, Juliette. On aurait dit qu’elle voulait sauver un poisson rouge tombé sur la moquette. Je crois même que je l’ai vu frétiller le Johnny, encore mouillé par l’eau de la boule. Il avait même une paillette sur l’œil gauche. On ne se sentait pas glorieux tous les trois : Juliette, Johnny et moi. Je viens de toucher le sol : aïe ! ça fait mal, le macadam place de la Bastille.
Ma bave ne cesse de sortir de ma bouche. Je crois plutôt que c’est du sang. Je ne suis pas inquiet, à travers les barreaux, mon pote clodo appelle les secours. Il gueule bien Maurice. Mais qu’est ce qu’il dit ? - « Johnny revient en France, Johnny revient en France. Lève toi petit, Johnny revient en France. Ils l’ont dit à l’instant à la radio des flics.»
- « ben ! je sais, on l’a libéré avec Juliette, il avait plein de neige et de paillettes sur le corps. »
Il insiste : « Johnny revient en France, mais c’est pas grâce à toi couillon, c’est grâce à Nicolas. C’est un saint, ce Nicolas. Ô mon Dieu ! Ô Saint-Nicolas, protecteur des enfants gâte nous comme tu gâtes Johnny, Ô Saint-Nicolas ! »
Il délire le vieux, mais putain, on a bien rigolé. J’aurais bien brûlé une bagnole moi aussi, mais je voulais juste m’acheter un kebab frites. C’est dingue ce qu’il y a comme monde place de la Bastille. Demain, je reprends le boulot, j’espère que je pourrai faire du vélo…

Jean Valles